S'identifier - S'inscrire - Contact

Dans la presse

Voyez ici les articles traités dans la presse à propos des dossiers qui vous intéressent

Réalisation

Ce site a été réalisé gracieusement par EPURES ASBL dans le cadre de ses missions d'aide à la diffusion de l'information environnementale. EPURES ASBL ne peut être reconnue comme responsable du contenu éditorial de ce site.

Johan Eklöf, le zoologue qui veut éteindre les lumières (La Libre 2/11/22)

Par Cadev • Dans la presse • Jeudi 03/11/2022 • 0 commentaires • Version imprimable

Et si on redécouvrait les bienfaits de l'obscurité ? Alors que les gouvernements (et les citoyens) cherchent à économiser l'énergie tous azimuts, le chercheur suédois Johan Eklöf, spécialiste des chauves-souris, publie Osons la nuit, manifeste contre la pollution lumineuse (1). L'ouvrage, en faveur de la sobriété lumineuse, tombe à pic en cette période de crise énergétique.

"L'éclairage artificiel du monde représente aujourd'hui un dixième de l'ensemble de notre consommation énergétique, or seule une infime fraction de cette lumière nous est utile", souligne le titulaire d'un doctorat en zoologie dans son manifeste, paru en octobre. La lumière naturelle et l'obscurité sont censées calibrer l'horloge interne de chaque espèce. C'était vrai jusqu'à l'invention de l'ampoule électrique il y a environ cent cinquante ans, qui a chamboulé ce processus si bien rodé, mettant ainsi "hors jeu des instincts vieux de 200 millions d'années" : "Des oiseaux se mettent à chanter en pleine nuit, des bébés tortues éclosent sur la plage et prennent la mauvaise direction, les rituels d'accouplements des récifs de corail sous la lune sont empêchés…" déroule Eklöf.

Guidé par sa nyctophobie, sa peur du noir, l'humain peine à appréhender ce monde "maléfique", qui reste celui d'un tiers de tous les vertébrés et presque deux tiers de tous les invertébrés. À l'instar de l'exploitation forestière, des polluants, de l'agriculture intensive, du changement climatique ou de l'urbanisation, la lumière de nos lampadaires, de nos vitrines de magasins ou de nos voitures perturbe gravement nos écosystèmes mais aussi notre santé, tout en nous privant du spectacle de la Voie lactée, que "seule une personne sur cinq en Europe peut voir de chez elle". Rencontre.

À quel moment a-t-on pris conscience des dégâts causés par la lumière artificielle ?

Plutôt tardivement. Au début des années 2000, la notion de pollution lumineuse était quasiment inconnue, sauf pour les astronomes. Il existait quelques études évoquant l’influence de la lumière sur les oiseaux et les tortues, mais c’était à peu près tout. Nous savons encore trop peu de choses sur la manière dont la lumière et l’obscurité influencent notre écosystème.

De mon côté, je travaille sur les chauves-souris depuis plus de vingt ans et c’est à l’occasion d’un inventaire, la nuit, en 2015, que j’ai remarqué que des colonies entières avaient disparu des églises, pourtant leur lieu de prédilection. Ces édifices religieux, objet de fierté architecturale, ont un point commun : aujourd’hui, ils brillent tous dans la nuit. Or, en confrontant mes recherches et celles de collègues, j’ai découvert que plus de la moitié des chauves-souris avaient disparu des églises de l’ouest de mon pays, la Suède, et ce en l’espace de trente ans seulement. En réalité, ce ne sont pas les chauves-souris qui disparaissent, mais bien la nuit. Je me suis alors demandé si c’était le cas pour d’autres espèces, ailleurs.

Quels sont les impacts les plus visibles de l’éclairage artificiel ?

Il existe des quantités d’observations sur des oiseaux ayant heurté en grand nombre des mâts, des tours ou des phares à travers le monde. En 1968, pas moins de 5 000 oiseaux sont entrés en collision avec une tour de télévision à Nashville, aux États-Unis. Entre 1960 et 1969, 7 000 oiseaux morts ou blessés ont été découverts au pied du phare de Long Point, dans l’est du Canada. Cela coïncide avec des itinéraires de migration importants. Chaque année, ils sont aussi un million à voler en cercle autour des colonnes lumineuses des anciennes tours jumelles du World Trade Center, à New York, à l’occasion des commémorations de l’attentat, et des millions de sauterelles envahissent la ville de Las Vegas, aimantées par les innombrables néons et, en premier lieu, le faisceau lumineux de l’hôtel-casino Luxor, le plus puissant d’Amérique. Tous sont hypnotisés par la lumière.

Il s'agit ici des manifestations les plus concrètes de la pollution lumineuse, mais, à notre échelle, il suffit d'allumer une lampe dans son jardin pour observer l'effet de la lumière artificielle sur les insectes. Ces derniers ont un système de navigation interne qui fonctionne avec la lumière polarisée (les ondes de la lumière, NdlR), la lune et les étoiles. S'ils repèrent une autre source lumineuse plus proche et plus puissante, c'est elle qu'ils prendront pour référence… Les papillons de nuit, libellules, moustiques, coléoptères, grillons et une infinité d'autres insectes se livrent ensuite à une danse spiralée en direction de cette source lumineuse. Envoûtés, beaucoup d'entre eux meurent d'épuisement avant l'aube, d'autres, exposés à la lumière, sont dévorés par des prédateurs, quand les survivants, eux, n'ont pas pu atteindre leur objectif de la nuit : ils n'ont pas pompé le nectar, ils n'ont pas transporté le pollen, ils n'ont pas trouvé de partenaire, ils n'ont pas pondu leurs œufs.

Quels autres problèmes génère l’éclairage chez les insectes, les mammifères, jusque dans les océans ?

Selon les espèces, la lumière artificielle - en fonction de son intensité - peut prolonger ou raccourcir le temps de reproduction, accélérer la ponte, influer sur la métamorphose (de la larve en nymphe par exemple), modifier les conditions de chasse et de pollinisation, la possibilité de s'alimenter, de fuir… La lumière naturelle calibre l'horloge interne, un mécanisme fondamental et commun à tout le vivant. La hausse de la température avec le réchauffement climatique est aussi un facteur important, mais, pour s'en tenir à la lumière, il est évident qu'il est très facile de perturber le rythme circadien (l'horloge biologique, NdlR) rien qu'en allumant une lampe électrique. Nous, humains, nous pouvons l'éteindre, mais ce n'est pas le cas des autres êtres vivants.

Quelles sont les espèces les plus touchées ?

Les animaux nocturnes sont directement affectés car nous réduisons leur espace de vie, mais les animaux diurnes le sont également, à commencer par nous, humains. La lumière artificielle joue sur le système immunitaire et rend les oiseaux malades contagieux plus longtemps. Certaines espèces de chauves-souris, comme les oreillards roux, craignent le moindre faisceau de lumière et n’osent plus aller chasser. À leurs yeux, le jour règne encore et les dangers guettent. Leur nuit devient alors minuscule entre le moment où la lumière artificielle s’éteint et l’aube. En Angleterre, on a pu démontrer que, dans de telles conditions, les chauves-souris préfèrent mourir de faim plutôt que de quitter leur foyer. Cela peut aussi avoir un impact direct sur nous, puisqu’une seule chauve-souris est capable de dévorer 3 000 insectes en une soirée, y compris les propagateurs de maladies. En Asie, où le riz constitue la base de l’alimentation, les plantations sont menacées en permanence par les insectes nuisibles et par les maladies. Rien qu’en Thaïlande, on estime les services rendus par les chauves-souris à 1 milliard d’euros chaque année. Il en va à peu près de même en Amérique du Nord.

Sans oublier les effets sur la végétation…

En effet, la lumière artificielle et le réchauffement climatique perturbent aussi l’horloge biologique des végétaux. Les feuilles vont tomber plus tardivement pour un feuillu qui se situe sous un lampadaire ou un éclairage ornemental, et cela va rendre l’arbre plus sensible au gel. À l’inverse, il va bourgeonner plus tôt, ce qui va également le rendre vulnérable au gel tardif et va perturber le timing entre floraison et pollinisation. Aujourd’hui, nous voyons de plus en plus de végétaux qui ne fleurissent pas et que les insectes ne touchent jamais.

Lire la suite